Une « conférence-débat
à deux voix » sur l’identité juive en France – « Qu’est-ce qu’être Français et juif ? » - est
organisée le mercredi 1er juin à la Grande Synagogue de Paris.
Les conférences seront assurées par l’ex-grand-rabbin
de France Gilles BERNHEIM et par le
journaliste Eric ZEMMOUR. Le débat
sera animé par un journaliste du Figaro,
Yves THREARD.
Eric
ZEMMOUR a publié en 2014 un
livre intitulé Le Suicide français
(Editions Albin Michel). L’une des modalités de ce « suicide » aura été, selon lui, la « doxa paxtonienne » : c’est à dire la
reconnaissance d’une responsabilité directe et entière du régime de Vichy dans
la Shoah, telle qu’elle a été évoquée par l’historien américain Robert Paxton
dans un ouvrage paru en 1972 aux Etats-Unis et un an plus tard en France, La France de Vichy (Editions du Seuil).
ZEMMOUR affirme que le régime de Vichy a en fait
assuré la survie de la plupart des « juifs
français ». Comment ? En livrant les « juifs étrangers ». Un « échange » qu’il veut bien qualifier d’ « immoral » mais qu’il tient
pour « efficace », puisque
les deux tiers des juifs vivant à l’époque en France ont échappé à la déportation.
Passons sur le fait que tous les historiens
de la Shoah concluent, comme Paxton, à une complicité active du régime de Vichy
dans la Shoah, et que ZEMMOUR ne
trouve, pour asseoir sa thèse, qu’un historien amateur, le « rabbin » (non-orthodoxe) Alain Michel, auteur d’un
opuscule, Vichy et la Shoah, paru en 2011 chez un petit éditeur catholique de
droite, CLD Editions.
Passons sur le fait que le régime de Vichy,
son administration, sa police, ses forces de choc (la Milice), ont participé
activement à l’arrestation, à la déportation et à l’assassinat de nombreux
juifs « français » : à commencer par Jacques Helbronner,
ancien membre de l’état-major de Georges Clémenceau, ancien ami personnel du
Maréchal Pétain, conseiller d’Etat, président du Consistoire central israélite
de France, déporté à Auschwitz le 20 novembre 1943 (convoi numéro 62) et gazé dès
son arrivée.
Passons sur le fait que de nombreux juifs
tenus pour « étrangers »
par Vichy (et par ZEMMOUR) étaient
en fait français selon le droit français : notamment les enfants nés en
France de parents d’origine étrangère.
Passons sur le fait que si deux tiers des
juifs français se trouvant en France en 1940 ont échappé à la Shoah, cela tient
à des causes multiples et variées : l’étendue et la variété du territoire
français, la laïcité française, rendant difficile le « dépistage » des juifs, l’assimilation poussée de la
plus grande partie de la population juive, rendant facile le recours à de
fausses identités, la résistance passive d’une partie de la population et même
des fonctionnaires, la résistance active des « Justes ». Mais en aucun cas à la « protection » du régime du Vichy.
Revenons sur l’essentiel : ZEMMOUR justifie le fait que le
gouvernement français ait livré des dizaines de milliers de juifs à la mort, y
compris plus de dix mille enfants, au nom d’une prétendue « raison d’Etat ».
Ce n’est pas un faux pas, une parole qui
aurait dépassé sa pensée. Cette affirmation s’insère dans un discours idéologique
cohérent. ZEMMOUR reprend se démarque
de la Résistance antinazie elle-même en citant avec approbation une phrase
attribuée au général de Gaulle par l’écrivain Claude Mauriac, fils de l’écrivain
François Mauriac : « De Gaulle
explique à mon père qu’il y avait eu deux sortes de Résistance entre lesquelles
nulle entente après la Libération n’était possible : ‘la mienne – la vôtre
– qui était résistance à l’ennemi – et puis la résistance politicienne qui était
antinazie, antifasciste, mais en aucune sorte nationale… »
Dans le même esprit, ZEMMOUR, tout au long de son essai, ne cesse de s’en prendre aux Américains
et aux Israéliens, qui apparaissent ainsi comme les ennemis principaux et
conjoints de la nation française. Même quand ils luttent contre l’islamisme et
le jihadisme.
Voici par exemple ce qu’il écrit à propos
des attentats islamistes de 2001 à Manhattan et à Washington :
« A
partir du 11 septembre 2001, Al-Qaida remplaça, dans l’imaginaire assiégé des
foules occidentales et des discours guerriers de leurs dirigeants, la Bande à
Baader et les Brigades rouges. Avec les mêmes arrière-pensées politiciennes et
les mêmes barbouzeries provocatrices. »
«
A gauche, parmi les élites politiques et intellectuelles françaises, la révolution
islamique provoqua un schisme… Ceux qui… rejetèrent la fascination révolutionnaire
au nom de leurs idéaux démocratiques, furent condamnés à s’aligner sur les
positions américaines (et israéliennes), et à dissoudre leurs engagements
progressistes dans un droit-de-l’hommisme occidentaliste, sirupeux et
embourgeoisé… »
Voici ce qu’il écrit des jeunes juifs français
pro-israéliens :
« Depuis
la guerre des Six Jours, une partie de la jeunesse juive française s’était enrégimentée
dans des mouvements de défense sioniste… Elle connaissait le destin
tragicomique de ces générations perdues si bien analysées par Musset dans ses
Confessions d’un Enfant du Siècle… »
Comment ZEMMOUR,
juif vichyste, « anti-antinazi »
et anti-israélien, peut-il être
invité à débattre de l’identité juive à la Grande Synagogue de la Victoire, où
se tient chaque automne, depuis 1945, un office solennel à la mémoire des
victimes de la Shoah ?
Comment l’ex-grand-rabbin BERNHEIM et les administrateurs de la
Grande Synagogue n’ont-ils pas senti l’indécence absolue d’un tel débat avec un
tel individu ?
Mais surtout, la communauté juive française
laissera-t-elle faire ?
LE
COLLECTIF SIMON MAUJEAN
23 mai 2016