mardi 24 mai 2016

ZEMMOUR A LA SYNAGOGUE DE LA VICTOIRE ?

Une « conférence-débat à deux voix » sur l’identité juive en France – «  Qu’est-ce qu’être Français et juif ? » - est organisée le mercredi 1er juin à la Grande Synagogue de Paris.

Les conférences seront assurées par l’ex-grand-rabbin de France Gilles BERNHEIM et par le journaliste Eric ZEMMOUR. Le débat sera animé par un journaliste du Figaro, Yves THREARD.

Eric ZEMMOUR a publié en 2014 un livre intitulé Le Suicide français (Editions Albin Michel). L’une des modalités de ce « suicide » aura été, selon lui, la « doxa paxtonienne » : c’est à dire la reconnaissance d’une responsabilité directe et entière du régime de Vichy dans la Shoah, telle qu’elle a été évoquée par l’historien américain Robert Paxton dans un ouvrage paru en 1972 aux Etats-Unis  et un an plus tard en France, La France de Vichy (Editions du Seuil).

ZEMMOUR affirme que le régime de Vichy a en fait assuré la survie de la plupart des « juifs français ». Comment ? En livrant les « juifs étrangers ». Un « échange » qu’il veut bien qualifier d’ « immoral » mais qu’il tient pour « efficace », puisque les deux tiers des juifs vivant à l’époque en France ont échappé à la déportation.

Passons sur le fait que tous les historiens de la Shoah concluent, comme Paxton, à une complicité active du régime de Vichy dans la Shoah, et que ZEMMOUR ne trouve, pour asseoir sa thèse, qu’un historien amateur, le « rabbin » (non-orthodoxe) Alain Michel, auteur d’un opuscule,  Vichy et la Shoah, paru en 2011 chez un petit éditeur catholique de droite, CLD Editions.  

Passons sur le fait que le régime de Vichy, son administration, sa police, ses forces de choc (la Milice), ont participé activement à l’arrestation, à la déportation et à l’assassinat de nombreux juifs « français » :  à commencer par Jacques Helbronner, ancien membre de l’état-major de Georges Clémenceau, ancien ami personnel du Maréchal Pétain, conseiller d’Etat, président du Consistoire central israélite de France, déporté à Auschwitz le 20 novembre 1943 (convoi numéro 62) et gazé dès son arrivée.

Passons sur le fait que de nombreux juifs tenus pour « étrangers » par Vichy (et par ZEMMOUR) étaient en fait français selon le droit français : notamment les enfants nés en France de parents d’origine étrangère.

Passons sur le fait que si deux tiers des juifs français se trouvant en France en 1940 ont échappé à la Shoah, cela tient à des causes multiples et variées : l’étendue et la variété du territoire français, la laïcité française, rendant difficile le « dépistage » des juifs, l’assimilation poussée de la plus grande partie de la population juive, rendant facile le recours à de fausses identités, la résistance passive d’une partie de la population et même des fonctionnaires, la résistance active des « Justes ». Mais en aucun cas à la « protection » du régime du Vichy.   

Revenons sur l’essentiel : ZEMMOUR justifie le fait que le gouvernement français ait livré des dizaines de milliers de juifs à la mort, y compris plus de dix mille enfants, au nom d’une prétendue « raison d’Etat ».

Ce n’est pas un faux pas, une parole qui aurait dépassé sa pensée. Cette affirmation s’insère dans un discours idéologique cohérent. ZEMMOUR reprend se démarque de la Résistance antinazie elle-même en citant avec approbation une phrase attribuée au général de Gaulle par l’écrivain Claude Mauriac, fils de l’écrivain François Mauriac : « De Gaulle explique à mon père qu’il y avait eu deux sortes de Résistance entre lesquelles nulle entente après la Libération n’était possible : ‘la mienne – la vôtre – qui était résistance à l’ennemi – et puis la résistance politicienne qui était antinazie, antifasciste, mais en aucune sorte nationale… »

Dans le même esprit, ZEMMOUR, tout au long de son essai, ne cesse de s’en prendre aux Américains et aux Israéliens, qui apparaissent ainsi comme les ennemis principaux et conjoints de la nation française. Même quand ils luttent contre l’islamisme et le jihadisme.

Voici par exemple ce qu’il écrit à propos des attentats islamistes de 2001 à Manhattan et à Washington :

« A partir du 11 septembre 2001, Al-Qaida remplaça, dans l’imaginaire assiégé des foules occidentales et des discours guerriers de leurs dirigeants, la Bande à Baader et les Brigades rouges. Avec les mêmes arrière-pensées politiciennes et les mêmes barbouzeries provocatrices. »

«  A gauche, parmi les élites politiques et intellectuelles françaises, la révolution islamique provoqua un schisme… Ceux qui… rejetèrent la fascination révolutionnaire au nom de leurs idéaux démocratiques, furent condamnés à s’aligner sur les positions américaines (et israéliennes), et à dissoudre leurs engagements progressistes dans un droit-de-l’hommisme occidentaliste, sirupeux et embourgeoisé… »

Voici ce qu’il écrit des jeunes juifs français pro-israéliens :

« Depuis la guerre des Six Jours, une partie de la jeunesse juive française s’était enrégimentée dans des mouvements de défense sioniste… Elle connaissait le destin tragicomique de ces générations perdues si bien analysées par Musset dans ses Confessions d’un Enfant du Siècle… »

Comment ZEMMOUR, juif vichyste, « anti-antinazi » et anti-israélien, peut-il être invité à débattre de l’identité juive à la Grande Synagogue de la Victoire, où se tient chaque automne, depuis 1945, un office solennel à la mémoire des victimes de la Shoah ?

Comment l’ex-grand-rabbin BERNHEIM et les administrateurs de la Grande Synagogue n’ont-ils pas senti l’indécence absolue d’un tel débat avec un tel individu ?

Mais surtout, la communauté juive française laissera-t-elle faire ?


LE COLLECTIF SIMON MAUJEAN



23 mai 2016